A l’heure où les frontières géographiques ont disparu (espace Schengen), deviendrait-on plus libre si celle entre vie professionnelle et personnelle disparaissait à son tour ?
Nous devons à Alfred Korzybski la sémantique générale, discipline qui met en évidence le rapport entre les mots, la culture et les comportements. Les mots nous permettent de définir notre monde et d’en tirer les leçons pour agir en fonction des évènements. Le langage participe à la construction de notre culture.
Au mot vie, nous associons parfois un adjectif, ce qui la segmente : vie professionnelle, vie privée. Nous séparons le monde du travail du reste. Autant d’expressions qui façonnent la perception de notre environnement et créent des frontières.
Temporelles, nous passons 35 heures au travail (ou plus, ou moins) réparties sur la semaine.
Spatiales, nous nous rendons au bureau, ou ailleurs, pour travailler.
Cette dichotomie est le modèle de vie à suivre, pour la plupart des personnes actives dans l’industrie et le tertiaire.
Et si nous prenions conscience que nous n’avons qu’une seule vie dans ce monde, pourrions-nous devenir les artisans de notre activité professionnelle ?
A l’instar de l’agriculteur qui ne travaille pas en fonction d’horaires prédéfinis mais des besoins de l’activité, chaque salarié pourrait, lui aussi, organiser son activité en fonction des contraintes professionnelles. Sans, l’artisan-salarié aménage son temps de travail, tel un écrivain, un compositeur ou un chercheur.
Utopie ou réalité ?
Cela peut paraître inconcevable dans une culture où le code du travail compte 3400 pages. Pourtant, si on y regarde de plus près, la frontière professionnelle s’est déjà déplacée. Nombre de métiers ne se font plus sur 7 ou 8 heures d’affilées. Prenons l’exemple d’un(e) caissièr(e) en grande distribution. Ses horaires varient entre l’ouverture et la fermeture avec parfois des coupures en milieu de journée. Que dire du cadre qui rentre chez lui (chez elle) avec ordinateur et téléphone portable. Sans parler du travail le dimanche qui concerne de plus en plus de métiers.
Si dans les faits nous y sommes, culturellement, les résistances pour maintenir les frontières sont encore bien présentes.
Le changement rencontre des résistances, surtout quand il est imposé ce qui est le cas pour un grand nombre de métiers à horaires variables, ce qui est aussi le cas du travail le dimanche où le gouvernement a dû faire usage du 49-3 à 3 reprises.
Imposé, le changement est une punition. Choisi, il peut être opportunité.
L’autonomie contribue à la disparition des frontières
L’abolition des frontières pro/perso s’intègre dans un modèle d’entreprise libérée défini par Isaac Getz[1]. La hiérarchie favorise l’autonomie des salariés qui s’en saisissent. La porte de l’entreprise libérée vue par Getz se situe du côté de la direction. Comme il le dit, cela peut prendre plusieurs années avant de changer de modèle. En effet, même avec un leader libérateur, le résultat n’est positif que dans la mesure où les salariés adhèrent à la proposition. Leur engagement est la clé du succès du dispositif.
La conséquence de l’engagement est une dilution des frontières. La vigilance est de s’assurer de la capacité à exercer sa profession dans un contexte moins structuré.
A en croire les témoignages et articles sur le sujet, ce dispositif est l’avenir des entreprises à forte croissance.
L’engagement dans son travail, synonyme d’épanouissement
Depuis Maslow, nous savons que l’être humain a besoin d’accomplissement. Le travail peut remplir cette fonction et permettre aux personnes de mieux vivre. L’engagement crée un lien affectif avec son entreprise. Si une personne qui, en dehors du temps de travail, va délibérément à la rencontre de son produit ou son service, en faisant un détour dans les allées du supermarché, en passant délibérément devant son enseigne, elle est engagée. Elle aime son produit ou son service. Elle aime son entreprise.
Est-ce un bien ou mal ? A chacun sa réponse. Ce qui me semble important est de vérifier avec ses proches la compatibilité entre le temps de travail et les autres temps et de se préserver de l’excès.
Après tout, nous savons à quel moment manger. Nous n’avons pas de représentation de la vie pendant et en dehors des repas. Nous savons aussi que manger à longueur de journée est mauvais pour la santé.
[1] Liberté & Cie : Quand la liberté des salariés fait le succès des entreprises – Getz/Carney