Auteurs : Stan Madoré et Myriam Chéreau.
Co-supervision et intimité dans un groupe
Troisième partie
Une intimité[1] sans attachement.
Pour que la relation soit de l’ordre de l’intimité entre les deux superviseurs, il est nécessaire qu’ils y y soient prêts, en conscience de ce que cela signifie. Il s’agit de se montrer, sans far, à son collègue, devant le groupe. Par le silence ou le questionnement, chacun vise à accepter et comprendre les motivations de l’autre, au profit de la personne supervisée. En agissant ainsi, ils montrent la prévenance qu’ils ont l’un pour l’autre, l’acceptation inconditionnelle de ce qui est dit et qui implique une confiance envers l’autre. Les superviseurs s’écoutent, s’ajustent et associent leurs questions. Cela signifie que parfois ils se refrènent à intervenir et doivent gérer leur frustration, dans l’objectif de laisser de l’espace au supervisé. Le contrat entre eux doit être clairement établi.
C’est parce que ce processus est protecteur pour les superviseurs qu’il l’est aussi pour le groupe. En exposant leurs accords, mais aussi leurs interrogations et leur vulnérabilité, les superviseurs construisent un espace contenant et sécurisant où chacun trouve sa place. Chaque membre du groupe, chaque témoin, met en résonance les propos des superviseurs avec son propre vécu. Les émotions des superviseurs jouent un rôle de permission pour les supervisés. Le partage du vécu émotionnel est un apprentissage de l’intimité pour le groupe. Le sentiment de honte, inhibiteur de l’intimité, se trouve alors mis à distance[2].
Intimité et apprentissage
Nous soutenons l’idée que l’apprentissage dans la supervision passe par l’intimité dans le groupe et inversement que l’intimité est en soi un apprentissage.
L’Adulte intégrant conscient et actif dans l’intimité
Ces processus et attitudes sont rendus possibles par l’expansion de l’Adulte intégrant défini par Tudor : « c’est un Etat du moi qui caractérise une personnalité pulsatile, qui intègre des sentiments, attitudes et comportements appropriés à l’ici et maintenant, à tous les âges de la vie, de la conception à la mort ». Cela nous amène à prendre conscience dans le dialogue ou la co-supervision, de nos différences et ressemblances tout en s’abstenant de tout jugement de valeur sur soi, sur l’autre, sur la relation, sur le supervisé. L’Adulte intégrant est sans cesse en évolution et intègre les expériences du présent en continu. Nous pourrions résumer cela par : je suis, tu es, il ou elle est OK (la personne supervisée).
Le dialogue et sa fonction didactique
Habituellement, le superviseur ne partage pas ce qu’il a fait, ni comment il a traité, par exemple, la confusion émotionnelle du supervisé. Cette part de la supervision, comme une terra incognita inexplorée, reste un espace privé de sa propre pensée. Or nous faisons l’hypothèse que mettre au jour ce travail d’élaboration de la pensée du superviseur est très formateur pour le groupe. Loin d’être celui qui sait et gagne du pouvoir sur l’autre dans une position sociale OK+/OK-, le superviseur ose expliquer ce qu’il a fait, pourquoi et comment il pense[3]. Il est dans une posture d’Affirmation de soi (Acey Choy AAT n°61).
Ce processus d’explicitation est un puissant levier d’apprentissage. En dialoguant sur nos interventions, devant le groupe, nous créons les conditions d’une relation Adulte-Adulte entre superviseurs et avec le groupe. Nous démystifions une vision du superviseur tout puissant et sachant en partageant les difficultés rencontrées dans l’accompagnement. La relation Adulte-Adulte avec le groupe s’en trouve simplifiée. Nous instaurons ainsi le principe du « nous », premier pilier de l’AT co-créative.[4]
Quelle que soit la forme de la supervision, conduite par un ou deux superviseurs, les trois personnes ont un rôle actif. La personne supervisée sait qu’il y aura le temps du dialogue qui lui apportera un éclairage sur le processus en place. Si un superviseur observe, il sait qu’il parlera de ce qu’il pense, ressent et comprend de la stratégie de son collègue. De fait, le dialogue est un outil didactique. Au-delà de la relation interpersonnelle, il contribue à clarifier ce qui se passe à un niveau intrapsychique dans une supervision. Les superviseurs apprennent de leur pratique dans une position meta. Le groupe et le supervisé mettent des mots sur le processus qu’ils ont pu vivre ou observer et découvre l’inévitable contingence, et parfois les impasses, dans les métiers de l’accompagnement. Au-delà de l’apprentissage de l’AT et de sa pratique, c’est un modèle d’intervention que nous proposons au groupe.
Illustrations du dialogue
Dialogue après une supervision conduite par un seul superviseur
Dans ce dialogue, le superviseur qui a conduit la supervision répond aux questions. Le superviseur-observateur dit ce qu’il a vu, entendu et compris de ses observations.
Que s’est-il passé pour toi ?
« – J’ai vécu cette supervision comme plutôt technique, centrée sur le processus parallèle que nous vivions au début, dans les premières minutes. Je ressentais le processus parallèle et cela m’agaçait car je me demandais quand y mettre fin. Cette question se posait à moi pour pouvoir passer le contrat de la supervision. Et J’ai pris la décision de laisser du temps au supervisé pour qu’il puisse élaborer sa demande. Cette position OK/OK m’a permis d’être bien centré sur mon ressenti tout en étant en contact avec lui, dans l’instant présent. Cet agacement a cessé quand j’ai pointé le processus parallèle. Qu’en penses-tu ?
– J’ai compris que ta supervision avait une visée didactique par le fait que tu as explicité le processus parallèle et partagé avec l’autre ton ressenti. C’était puissant et utile d’un point de vue pédagogique. J’ai vu que le supervisé manifestait une grande écoute quand tu lui parlais ainsi, et je l’ai vu plus calme qu’au début de la supervision.
Quelle a été ta stratégie ?
– Je souhaitais que Valentin[5] prenne conscience de ce qui se passait entre nous pour qu’il comprenne ce qui se passe avec son client. C’était ma stratégie.
– En effet, tu l’as aidé à penser par cette prise de conscience avec un Adulte décontaminé.
– Oui, et j’ai utilisé aussi l’opération bernienne de confrontation dans l’Adulte. Là aussi, c’est dans l’objectif que Valentin puisse différencier une confrontation dans l’Adulte et dans le Parent.
– C’est pour ça que j’ai trouvé cette supervision didactique, parce que tu nommais ce que tu faisais et tu donnais des explications sur ce qui était en lien immédiat avec tel ou tel processus. Tu t’es concentré surtout là-dessus.
En quoi ta supervision, tes choix ont-ils contribué à aider Valentin ?
– J’ai fait le choix de travailler sur le processus parallèle pour aider le supervisé à conscientiser ce qui se passait entre nous et avec son client. J’ai fait ce choix pour respecter le contrat même si d’autres options étaient possibles. Là aussi, l’objectif est de lui montrer que dans un accompagnement, il y a des choix à faire, donc des renoncements à gérer.
Dialogue avec une supervision conduite par deux superviseurs
Quand la supervision a été conduite par les deux superviseurs, chacun d’eux, dans le dialogue, s’exprime sur les trois questions.
Que s’est-il passé pour chacun de nous ?
Superviseur A :« – J’ai vu que nous prenions le même chemin avec des moyens différents, toi en utilisant les Etats du Moi et pour ma part, en l’aidant à différencier le processus du contenu. Et j’ai trouvé que c’était stimulant. Nous sommes restés attentifs à ne pas perdre Clémentine.
Superviseur B – Oui, je l’ai vu aussi. J’ai choisi de travailler avec ce qui se passe pour elle en interne, en de ce que dit Pamela Levin sur le pouvoir de penser.
Superviseur A- C’était une bonne idée, « le pouvoir de penser » était éclairant. Le contrat que nous avions pouvait se traiter autant avec une approche psychodynamique qu’interpersonnelle ».
Quelle a été la stratégie ?
Superviseur B – mon intention a été guidée pas sa première phrase « il faut faire des choix, je vais en faire un, je vais faire un pas de plus vers l’expression de ma pensée ». Je me suis fait confiance et je t’ai fait confiance quand j’ai vu que nos chemins étaient différents.
Superviseur A – Faire confiance à Clémentine est la stratégie que nous avons suivie avec des moyens différents : moi j’ai abordé les émotions et toi les croyances et les pensées. Certes c’est différent, et complémentaire à la fois. « Pour faire un pas de plus vers sa pensée », il était nécessaire à mon avis de l’aider à sortir de la confusion émotionnelle.
Superviseur B – Le travail que nous avons ensuite fait avec lui sur l’impasse d’autorité, a constitué une autre prise de conscience. « Pour aller vers sa pensée », elle a besoin de résoudre l’impasse entre le Parent et l’Enfant et d’activer l’Adulte qui doit être activé dans ses coaching.
Superviseur A- Il est possible qu’il y ait d’autres impasses. Ce n’est plus du domaine de la supervision mais plutôt de la thérapie. Il me semble aussi important de dire que cette forme particulière d’accompagnement qu’est la co-supervision, crée de l’intimité dans le groupe de supervision.
Est-ce que la supervision a contribué à aider la supervisée ?
Superviseur A- Je le pense. Ce processus de différenciation que Clémentine a pu vivre avec les deux superviseurs, loin de la perdre, lui donne des permissions pour coacher à sa manière, avec son style, tout en respectant le contrat.
Superviseur B – Oui, je le crois, au moins en partie. Elle a d’ailleurs verbalisé au moment où elle a voulu poursuivre le travail sur ses émotions. Nous l’avons accompagné dans le cadre de notre rôle de superviseur. Voilà.
Conclusion
Nous avons présenté un nouveau modèle de supervision en groupe. Son originalité repose sur les processus qui favorisent la mise en œuvre de l’intimité.
Voici, au terme de cet article, des témoignages de membres du groupe sur les vertus du dialogue des superviseurs devant le groupe. Qu’ils en soient ici chaleureusement remerciés.
Clémentine « En tant que supervisé, je trouve que le dialogue entre les deux superviseurs prolonge et nourrit à un autre niveau ma propre supervision ; cela m’aide à intégrer des concepts pour ma pratique de coach ; votre transparence à dire ce que vous faites dans cette intimité me rassure »
Sylvain « ce qui est la chose la plus importante pour moi c’est la bienveillance entre vous : cela m’inspire de vous voir et de vous entendre parler de ce qui s’est passé pour vous dans la supervision sans se mettre en danger »
Laurent « Selon moi, ce dialogue dans lequel vous dévoilez votre stratégie favorise mon autonomie. Il m’invite à me questionner sur ma propre stratégie dans mes accompagnements.
Lucie « En montrant votre Vulnérabilité au sens de Choy dans le triangle gagnant, c’est décontaminant car cela fait tomber des préjugés du Parent et des illusions de l’Enfant. C’est donc une posture vraiment Adulte que je peux modéliser. Je fais sans doute moins de projections et de grandiosités grâce à ce processus qui pour moi est une démarche d’apprentissage. »
Élise « Avant d’intégrer le groupe de supervision, je me disais en tant que coach, il faut que je sache ; et puis je vous entends dire : « là, je ne sais pas ». Et bien je me reconnais et ce processus donc me donne la permission de ne pas savoir, de prendre conscience que je ne sais pas et de faire avec ! Du coup en vous faisant confiance même si vous ne savez pas, je me fais confiance aussi. Et je peux davantage partager ce que je vis dans ma supervision avec vous. Je me reconnais votre égal ».
Valentin « Oui et ce qu’on partage, c’est l’analyse transactionnelle aussi bien dans les contenus que dans ce processus innovant de coanimation et d’intimité.
[1] Trudi Newton et Hilary Cochrane – supervision for coaches, a guide to thoughtful work, 2011
[2] Valérie Perret – La honte, fléau de la supervision – AAT 158
[3] Acey Choy – Le triangle du gagnant – AAT 61
[4] Tudor et Summers- une analyse transactionnelle co -créative-AAT n°100
[5] Tous les prénoms ont été modifiés